"L'atto d'accusa di Maria Antonietta" Audience du 23 du premier mois de len 2ème de la République Française Interrogée de ses noms, surnoms, âge, qualités, lieu de naissance et demeure. A répondu se nommer Marie-Antoinette Lorraine dAutriche, âgée denviron 38 ans, veuve du roi de France, née à Vienne, se trouvant lors de son arrestation dans le lieu des séances de lassemblée nationale. Le greffier donne lecture de lacte daccusation, dont la teneur suit : Antoine-Quentin Fouquier Tinville, accusateur-public près le tribunal criminel révolutionnaire, établi à Paris par décret de la convention nationale, du 10 mars 1793, lan deuxième de la république, sans aucun recours au tribunal de cassation, en vertu du pouvoir à lui donné par larticle II dun autre décret de la convention, du 5 avril suivant, portant que laccusateur public dudit tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger, sur la dénonciation des autorités constituées ou des citoyens. Expose que, suivant un décret de la convention du premier août, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été traduite au tribunal révolutionnaire, comme prévenue davoir conspiré contre la France ; que, par autre décret de la convention, du 3 octobre, il a été décrété que le tribunal révolutionnaire soccuperait sans délai et sans interruption du jugement ; que laccusateur public a reçu les pièces concernant la veuve Capet, les 19 et 20 du premier mois de la seconde année, vulgairement dits 11 et 12 octobre courant mois ; quil a été aussitôt procédé, par lun des juges du tribunal, à linterrogatoire de la veuve Capet ; quexamen fait de toutes les pièces transmises par laccusateur public, il en résulte, quà linstar des messalines Brunehaut, Frédégonde et Médicis, que lon qualifiait autrefois de reines de France, et dont les noms à jamais odieux ne seffaceront pas des fastes de lhistoire, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été depuis son séjour en France, le fléau et la sangsue des Français ; quavant même lheureuse révolution qui a rendu au peuple Français sa souveraineté, elle avait des rapports politiques avec lhomme qualifié de roi de Bohême et de Hongrie ; que ces rapports étaient contraires aux intérêts de la France ; que non-contente, de concert avec les frères de Louis Capet, et linfâme et exécrable Calonne, lors ministre des finances, davoir dilapidé dune manière effroyable, les finances de la France (fruit des sueurs du peuple), pour satisfaire à des plaisirs désordonnés, et payer les agents de ses intrigues criminelles, il est notoire quelle a fait passer, à différentes époques, à lempereur, des millions qui lui ont servi et lui servent encore à soutenir la guerre contre la république, et que cest par ses dilapidations excessives quelle est parvenue à épuiser le trésor national. Que, depuis la révolution, la veuve Capet na cessé un seul instant dentretenir des intelligences et des correspondances criminelles et nuisibles à la France, avec les puissances étrangères, et dans lintérieur de la république, par des agents affidés, quelle soudoyait et faisait soudoyer par le ci-devant trésorier de la liste ci-devant civile ; quà différentes époques, elle a usé de toutes les manoeuvres quelle croyait propres à ses vues perfides, pour opérer une contre-révolution ; dabord ayant, sous prétexte dune réunion nécessaire entre les ci-devant gardes-du-corps et les officiers et soldats du régiment de Flandres, ménagé un repas entre ces deux corps le premier octobre 1789, lequel est dégénéré en une véritable orgie, ainsi quelle le désirait, et pendant le cours de laquelle les agents de la veuve Capet, secondant parfaitement ses projets contre-révolutionnaires, ont amené la plupart des convives à chanter, dans lépanchement de livresse, des chansons exprimant le plus entier dévouement pour le trône et laversion la plus caractérisée pour le peuple, et de les avoir insensiblement amenés à arborer la cocarde blanche et à fouler aux pieds la cocarde nationale ; et davoir, par sa présence, autorisé tous ces excès contre-révolutionnaires, surtout en encourageant les femmes qui laccompagnaient à distribuer les cocardes blanches aux convives ; davoir, le 4 du mois doctobre, témoigné la joie la plus immodérée de ce qui sétait passé à cette orgie. En second lieu, davoir, conjointement avec Louis Capet, fait imprimer et distribuer avec profusion, dans toute létendue de la république, des ouvrages contre-révolutionnaires, de ceux mêmes adressés aux conspirateurs doutre-Rhin, ou publiés en leur nom, tels que les Pétitions aux Emigrants, Réponse des Emigrants, les Emigrants au Peuple, les plus courtes Folies sont les meilleures, le Journal à deux liards, lordre, la marche et lentrée des Emigrants ; davoir même poussé la perfidie et la dissimulation au point davoir fait imprimer et distribuer avec la même profusion des ouvrages dans lesquels elle était dépeinte sous des couleurs peu avantageuses, quelle ne méritait déjà que trop en ce temps, et ce, pour donner le change, et persuader aux puissances étrangères quelle était maltraitée des Français ; et les animer de plus en plus contre la France ; que pour réussir plus promptement dans ses projets contre-révolutionnaires, elle avait, par ses agents, occasionné dans Paris et les environs, les premiers jours doctobre 1789, une disette qui a donné lieu à une nouvelle insurrection, à la suite de laquelle une foule innombrable de citoyens et de citoyennes sest portée à Versailles le 5 du même moi ; que ce fait est prouvé dune manière sans réplique par labondance qui a régné le lendemain même de larrivée de la veuve Capet à Paris et de sa famille. Quà peine arrivée à Paris, la veuve Capet, féconde en intrigues de tout genre, a formé des conciliables dans son habitation ; que ces conciliabules, composés de tous les contre-révolutionnaires et intrigants des assemblées constituante et législative, se tenaient dans les ténèbres de la nuit ; que lon y avisait aux moyens danéantir les droits de lhomme, et les décrets déjà rendus, qui devaient faire la base de la constitution ; que cest dans ces conciliabules quil a été délibéré sur les mesures à prendre pour faire décréter la révision des décrets qui étaient favorables au peuple ; quon a arrêté la fuite de Louis Capet, de la veuve Capet et de toute la famille, sous des noms supposés, au mois de juin 1791, tenté tant de fois et sans succès, à différentes époques ; que la veuve Capet convient, dans son interrogatoire, que cest elle qui a tout ménagé et tout préparé, pour effectuer cette évasion, et que cest elle qui a ouvert et fermé les portes de lappartement par où les fugitifs sont passés ; quindépendamment de laveu de la veuve Capet à cet égard, il est constant, daprès les déclarations de Louis-Charles Capet et de la fille Capet, que Lafayette, favori sous tous les rapports de la veuve Capet, et Bailly, lors maire de Paris, étaient présents au moment de cette évasion, et quils lont favorisée de tout leur pouvoir ; que la veuve Capet, après son retour de Varennes, a recommencé ses conciliabules ; quelle les présidait elle-même, et que, dintelligence avec son favori Lafayette, lon a fermé les Tuileries, et privé, par ce moyen, les citoyens daller et venir librement dans les cours et le ci-devant château des Tuileries ; quil ny avait que les personnes munies de cartes qui eussent leur entrée ; que cette clôture présentée avec emphase par le traître Lafayette comme ayant pour objet de punir les fugitifs de Varennes, était une ruse imaginée et concertée dans ces conciliabules ténébreux pour priver les citoyens des moyens de découvrir ce qui se tramait contre la liberté dans ce lieu infâme ; que cest dans ces mêmes conciliabules qua été déterminé lhorrible massacre qui a eu lieu le 16 juillet 1791, des plus zélés patriotes qui se sont trouvés au Champs-de-Mars ; que le massacre qui avait eu lieu précédemment à Nancy, et ceux qui ont eu lieu depuis dans les divers autres points de la république, ont été déterminés dans ces mêmes conciliabules ; que ces mouvements qui ont fait couler le sang dune foule immense de patriotes, ont été imaginés pour arriver plutôt et plus sûrement à la révision des décrets rendus et fondés sur les droits de lhomme, et qui par là, étaient nuisibles aux vues ambitieuses et contre-révolutionnaires de Louis Capet et de Marie-Antoinette ; que la constitution de 1791 une fois acceptée, la veuve Capet sest occupée de la détruire insensiblement par toutes les manoeuvres quelle et ses agents ont employées dans les divers point de la république ; que toutes ses démarches ont eu pour but danéantir la liberté, et de faire rentrer les Français sous le joug tyrannique sous lequel ils nont langui que trop de siècles ; quà cet effet, la veuve Capet a imaginé de faire discuter dans ses conciliabules ténébreux, et qualifié depuis longtemps avec raison de cabinet autrichien, toutes les lois qui étaient portées par lassemblée législative ; que cest elle, et par suite de la détermination prise dans ces conciliables, qui a décidé Louis Capet à apposer son veto au fameux et salutaire décret rendu par lassemblée législative contre les ci-devant princes, frères de Louis Capet, et les émigrés, et contre cette horde de prêtres réfractaires et fanatiques, répandus dans toute la France ; veto qui a été lune des principale causes des maux qua depuis éprouvé la France. Que cest la veuve Capet qui faisait nommer les ministres pervers, et aux places dans les armées et dans les bureaux, des hommes connus de la nation entière pour des conspirateurs contre la liberté ; que cest par ses manoeuvres et celles de ses agents, aussi adroits que perfides, quelle est parvenue à composer la nouvelle garde de Louis Capet dancien officiers qui avaient quitté leurs corps lors du serment exigé, de prêtres réfractaires et détrangers, et enfin de tous hommes réprouvés pour la plupart de la nation, et dignes de servir dans larmée de Coblentz, où un très grand nombre est en effet passé depuis le licenciement. Que cest la veuve Capet, dintelligence avec la faction liberticide qui dominait alors lassemblée législative, et pendant un temps la convention, qui a fait déclarer la guerre au roi de Bohême et de Hongrie son frère ; que cest par ses manoeuvres et ses intrigues, toujours funestes à la France, que sest opérée la première retraite des Français du territoire de la Belgique. Que cest la veuve Capet qui a fait parvenir aux puissances étrangères les plans de campagne et dattaque qui étaient convenus dans le conseil, de manière que, par cette double trahison, les ennemis étaient toujours instruits à lavance des mouvements que devaient faire les ennemis de la république ; doù suit la conséquence, que la veuve Capet est lauteur des revers quont éprouvé, en différents temps, les armées françaises. Que la veuve Capet a médité et combiné avec ses perfides agents lhorrible conspiration qui a éclaté dans la journée du 10 août, laquelle na échoué que par les efforts courageux et incroyables des patriotes ; quà cette fin elle a réuni dans son habitation aux Tuileries, jusques dans des souterrains, les Suisses, qui, aux termes des décrets, ne devaient plus composer la garde de Louis Capet ; quelle les a entretenus dans un état divresse depuis le 9 jusquau 10 matin, jour convenu pour lexécution de cette horrible conspiration ; quelle a réuni également, et dans le même dessein, dès le 9, une foule de ces êtres qualifiés de chevaliers du poignard, qui avaient figuré déjà dans ce même lieu, le 23 février 1791, et depuis, à lépoque du 20 juin 1792. Que la veuve Capet craignant sans doute que cette conspiration neût pas tout leffet quelle sen était promise, a été dans la soirée du 7 août, vers les neuf heures et demie du soir, dans la salle où les Suisses et autres à elle dévoués, travaillaient à des cartouches ; quen même temps quelle les encourageait à hâter la confection de ces cartouches, pour les exciter de plus en plus, elle a pris des cartouches et a mordu des balles. (Les expressions manquent pour rendre un trait aussi atroce). Que le lendemain 10, il est notoire quelle a pressé et sollicité Louis Capet à aller dans les Tuileries, vers cinq heures et demis du matin, passer la revue des véritables Suisses et autres scélérats qui en avaient pris lhabit, et quà son retour, elle lui a présenté un pistolet, en disant : " Voilà le moment de vous montrer ", et que sur son refus, elle la traité de lâche ; que, quoique dans son interrogatoire la veuve Capet ait persévéré à dénier quil ait été donné aucun ordre de tirer sur le peuple, la conduite quelle a tenue le dimanche 9, dans la salle des Suisses, les conciliabules qui ont eu lieu toute la nuit, et auxquels elle a assisté, larticle du pistolet et son propos de Louis Capet, leur retraite subite des Tuileries et les coups de fusil tirés au moment même de leur entrée dans la salle de lassemblée législative ; toutes ces circonstances réunies ne permettent pas de douter quil nait été convenu dans le conciliabule qui a eu lieu pendant toute la nuit, quil fallait tirer sur le peuple, et que Louis Capet et Marie-Antoinette, qui était la grande directrice de cette conspiration, nait elle-même donné lordre de tirer. Que cest aux intrigues et manoeuvres perfides de la veuve Capet, dintelligence avec cette faction liberticide dont il a été déjà parlé, et tous les ennemis de la république, que la France est redevable de cette guerre intestine qui la dévore depuis si longtemps, dont heureusement la fin nest pas plus éloignée que celle de ses auteurs. Que dans tous les temps, cest la veuve Capet, qui, par cette influence quelle avait acquise sur lesprit de Louis Capet, lui avait insinué cet art profond et dangereux de dissimuler et dagir, et promettre par des actes publics, le contraire de ce quil pensait, et tramait conjointement avec elle dans les ténèbres, pour détruire cette liberté si chère aux Français, et quils sauront conserver, et recouvrer ce quils appelaient la plénitude des prérogatives royales. Quenfin la veuve Capet, immorale sous tous les rapports, et nouvelle Agrippine, est si perverse et si familière avec tous les crimes, quoubliant sa qualité de mère, et la démarcation prescrite par les lois de la nature, elle na pas craint de se livrer avec Louis-Charles Capet son fils, et de laveu de ce dernier, à des indécences dont lidée et le nom seuls font frémir dhorreur. Daprès lexposé ci-dessus, laccusateur-public a dressé la présente accusation contre Marie-Antoinette, se qualifiant dans son interrogatoire de Lorraine dAutriche, veuve de Louis Capet, pour avoir méchamment et à dessein, 1° de concert avec les frères de Louis Capet et linfâme ex-ministre Calonne, dilapidé dune manière effroyable les finances de la France, et davoir fait passer des sommes incalculables à lempereur, et davoir ainsi épuisé le trésor national. 2° Davoir, tant par elle que par ses agents contre-révolutionnaires, entretenu des intelligences et des correspondances avec les ennemis de la république, et davoir informé et fait informer ces mêmes ennemis des plans de compagne et dattaque convenus et arrêtés dans le conseil. 3° Davoir, par ses intrigues et manoeuvres, et celle de ses agents, tramé des conspirations et des complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France, et davoir à cet effet allumé la guerre civile dans divers points de la république, et armé les citoyens les uns contre les autres, et davoir, par ce moyen, fait couler le sang dun nombre incalculable de citoyens ; ce qui est contraire à larticle IV de la section première du titre premier de la seconde partie du code pénal, et à larticle II de la seconde section du titre premier du même code. En conséquence, laccusateur-public requiert quil lui soit donné acte, par le tribunal assemblé, de la présente accusation ; quil soit ordonné quà sa diligence et par un huissier du tribunal, porteur de lordonnance à intervenir, Marie-Antoinette, se qualifiant de Lorraine dAutriche, veuve de Louis Capet, actuellement détenue dans la maison darrêt dite la conciergerie du palais, sera écrouée sur les registres de ladite maison, pour y rester comme en maison de justice ; comme aussi que lordonnance à intervenir sera notifiée à la municipalité de Paris et à laccusée. Fait au cabinet de laccusateur-public, le premier jour de la troisième décade du premier mois de lan second de la république une et indivisible. Signé, FOUQUIER. Le Tribunal, faisant droit sur le réquisitoire de laccusateur-public, lui donne acte de laccusation par lui portée contre Marie-Antoinette, dite Lorraine dAutriche, veuve de Louis Capet. En conséquence, ordonne quà sa diligence et par un huissier du tribunal, porteur de la présente ordonnance, ladite Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, sera prise au corps, arrêté et écrouée sur les registres de la maison darrêt, dite la conciergerie, à Paris, où elle est actuellement détenue, pour y rester comme en maison de justice ; comme aussi que la présente ordonnance sera notifiée, tant à la municipalité de Paris quà laccusée. Fait et jugé au tribunal, le second jour de la troisième décade du premier mois de lan second de la république. Armand-Martial-Joseph HERMAN, Etienne FOUCAULT, Gabriel-Toussaint SCELLIER, Pierre-André COFFINHAL, Gabriel DELIEGE, Pierre-Louis RAGMEY, Antoine-Marie MAIRE, François-Jospeh DENIZOT, Etienne MACON, tous juges du tribunal, qui ont signé. |